Interview Ignace Grifo

Interview de M. Ignace Grifo, architecte libéral et auteur de plusieurs ouvrages sur la thématique de l’architecture urbaine.


Revenons au tout début de votre carrière, qu’est-ce qui vous a poussé vers l’architecture et quelles études avez-vous faites ?

J’ai commencé comme Architecte libéral dès 1984 en participant au Programme « Banlieues 89 » avec la mission de Roland Castro à Redon (Cité Bellevue). Le projet consistait à réhabiliter cette cité et lui offrir une nouvelle identité, une nouvelle image, plus positive. Banlieues 89 c’était la prise de conscience du malaise des quartiers, et de la ghettoïsation de certains territoires.

Ensuite, nous avons remporté en 1986, la consultation de l’Orme au Chat à Ivry-sur-Seine. C’était le premier projet de reconquête urbaine du quartier d’Ivry-port, qui était un quartier Industriel en pleine reconversion. Ce projet a été révélateur, fondateur d’une démarche urbaine sur la ville, mais aussi fondateur de la définition du projet urbain.

À savoir : qu’est-ce qu’un projet urbain ?

Au-delà du programme qui était exemplaire, un nouveau groupe scolaire, un centre de loisirs, des équipements sportifs, un bassin-école, un gymnase et des terrains de sports… Une opération de 40 de logements sociaux, mais aussi et surtout la création d’espaces publics importants, comme la création de la Place de l’Orme au Chat, qui d’ailleurs, 30 ans après fonctionne toujours très bien, et joue son rôle de marquage de l’école républicaine et participe fortement à l’identité du quartier d’Ivry-Port. On a aussi, après de longues concertations avec les habitants, prolongé une rue existante, à savoir la rue de petits Hôtels, qui était auparavant une impasse. Le projet urbain, c’est vraiment cela, c’est d’ouvrir des impasses, c’est d’offrir du lien et une identité dans les projets dans une ville grâce notamment aux espaces publics, autrement dit : l’espace public reste fondateur de la ville.

Parlez-nous de votre expérience professionnelle la plus marquante

Absolument, j’ai été pensionnaire à la Villa Médicis, à savoir l’Académie de France à Rome pendant deux années.

Ce prix correspond à l’ancien prix de Rome. J’ai donc passé deux années fabuleuses avec d’autres artistes, des peintres, des sculpteurs, des cinéastes comme Xavier Beauvois, des compositeurs… La Villa Médicis est un fin mélange d’art et de culture.

Me concernant, j’ai personnellement organisé 2 cycles de conférences pour promouvoir l’Architecture française en Italie et ceci à partir d’un concept qui était le thème du Projet urbain. Pour ce faire, j’ai pris l’initiative d’organiser plusieurs débats sur le thème du projet urbain autour de 2 concepts :

– Les Grands Projets du Président : la mission « Banlieues 89 »

Ainsi, j’ai pu organiser ces deux cycles de conférences pour la promotion de l’Architecture française en Italie, notamment sur les Grands Projets du Président F. Mitterrand, la Pyramide du Louvre par PEI, la Grande Arche de Sprikelson, l’Opéra Populaire de Bastille de Carlos OTT et enfin la Grande Bibliothèque (BNF… devenue la bibliothèque F. Mitterrand), mais aussi de l’Institut du Monde Arabe par Jean Nouvel.

Grâce à l’organisation de la Villa Médicis, par exemple, j’ai invité à Rome Dominique Perrault pour nous présenter cette nouvelle Bibliothèque qui était à l’époque en chantier. L’idée était de montrer que grâce à de grands projets on pouvait réinventer Paris et continuer l’histoire de cette ville comme capitale européenne.

Je pense que le pari de François Mitterrand est en grande partie réussi, mais peut être au détriment de la reconquête des territoires de nos banlieues, projets moins visibles et moins pharaoniques… Bien évidemment, j’ai invité Roland CASTRO à Rome. Il est le responsable de la Mission « Banlieues 89 » pour comprendre sa démarche et ses espoirs d’investir massivement nos quartiers « abandonnés » de nos banlieues pour en faire de la ville, du rêve… et d’espoir.

Des choses ont été faites, de très belles choses, on a démoli des tours, des barres, on a reconstruit des logements à échelle humaine, on a essayé de créer de la mixité urbaine entre logements sociaux et logements privés… Mais les moyens massifs d’un plan Marshall n’étaient pas au rendez-vous. Par la suite, il y a eu le Plan Borloo, avec la création de l’ANRU (Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain ) et la mise en place l’Agence Foncière du Logement qui est toujours le bras armé pour trouver des financements dans la reconquête de nos banlieues en proposant des investissements et en contrepartie du logement intermédiaire locatif pour les classes moyennes. En forme de conclusion, la prise de conscience est toujours présente, mais les moyens restent encore trop fragiles : on est loin d’un plan Marshall sur la banlieue !

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes architectes qui souhaitent se lancer dans le métier ?

Tout à fait, j’ai été enseignant et maître de conférences pendant plus de 20 ans à l’École d’Architecture de Paris La Villette. Pendant, plus de 20 ans, j’ai essayé de transmettre à mes étudiants le virus de l’architecture et l’amour de la ville. Il n’existe pas d’architecture urbaine sans ville : on est donc condamné à aimer la ville.  J’ai un livre en mémoire de Italo Calvino, « les Villes Invisibles » et ce regard extrêmement poétique sur le plaisir et l’amour des villes.

Dans le premier cycle, je mettais l’accent tout particulièrement sur les détails grâce à de petits projets de logements, voire d’équipementz, une crèche par exemple, dans un cadre urbain dense. Dans les autres cycles, je mettais l’accent sur des territoires plus vastes, souvent des territoires en difficultés industrielles ou simplement des cités enclavées. Nous avons investi des villes comme Ivry, Vitry, Aubervilliers, Villeneuve-Saint-Georges… des territoires comme la Seine, le périphérique, les friches industrielles, les coupures ferroviaires…

Ainsi, grâce à l’analyse urbaine, chaque étudiant devait définir une stratégie de son projet pour la reconquête de ces sites en difficulté. L’objectif n’était pas de faire pour faire, mais de définir une « pensée urbaine sur la ville » : comment transformer positivement ces territoires tout en évitant de réaliser une table rase de ces sites. La ville a une mémoire et une histoire : le projet urbain doit s’inscrire dans cette continuité.

Quelles sont les qualités premières à avoir en tant qu’architecte ?

Le thème du projet urbain est très présent dans ma démarche d’architecte. Pour moi, le projet urbain renvoie tout d’abord à la notion de l’espace public: la ville comme espace citoyen. Ainsi, je pense qu’on doit aussi définir la ville à partir de ses vides et de ses pleins et de ses constructions, et non uniquement de ses objets. Bien évidemment, le projet urbain, comme je l’ai déjà exprimé, s’inscrit obligatoirement dans la continuité historique de ses territoires, qui sont avant tout humains.

Le travail du Baron Haussmann au 19e siècle avec la création des grandes percées parisiennes était le type même du projet urbain, même si derrière ce désir de fabriquer une ville moderne il existait des enjeux financiers et politiques. La ville c’est aussi un enjeu social. Dans la définition de l’espace public, il reste son miroir, à savoir l’espace privatif de la ville. Selon moi, les enjeux urbains, sont encore aujourd’hui sur ce partage entre l’espace public et l’espace privatif et donc comment repenser la forme de la ville, de ses nouveaux îlots urbains contemporains et donc de l’espace social d’une ville.

À la fois travail et passion, pourriez-vous nous donner plusieurs architectes qui vous inspirent ?

La question est de donner une forme possible à cet espace social. À ce stade, on peut prendre quelques exemples que je trouve très positifs.

Si on regarde Paris, vous avez notamment deux projets urbains récents très explicatifs : le quartier de Bercy dans le 14e avec son Parc Urbain et les constructions d’habitations qui accompagnent ce Parc. L‘architecte coordinateur était JP Buffi, qui a su mettre un oeuvre un équilibre subtil entre la forme des îlots face au jardin et une composition des façades architecturales avec quelques règles très simples pour offrir, malgré l’intervention d’une dizaine d’architectes différents, une unité urbaine, une cohérence face au parc. Grâce à JP Buffi, on a échappé à une collection d’objets architecturaux et à un catalogue des égos.

L’autre exemple, c’est le nouveau quartier dessiné par Christian de Portzamparc autour de la BNF dans le quartier Tolbiac dans le 13e. L‘architecte explore avec succès la mise en place de nouveaux îlots urbains contemporains. Il propose deux idées apparemment très simples : créer des îlots fermés, mais ouverts par leur transparence et donc offrir des vues, des angles et des perspectives à l’intérieur des îlots, d’ailleurs fortement végétalisés. L’autre idée, c’était d’offrir des immeubles très verticaux à diverses échelles urbaines. Cette diversité à permis de créer un nouveau quartier urbain sur des principes très simples, mais en respectant le concept entre l’espace public et l’espace privé.

Ainsi, ce que le mouvement moderne a refusé de faire pendant des années, nous pouvons le réussir aujourd’hui, si nous le souhaitons. La clarification des espaces extérieurs, entre espace public et espace privatif, reste encore aujourd’hui un enjeu et un fondement pour la ville européenne.

Nous restons encore les héritiers de cette ville Européenne. En forme de conclusion, l’agence a porté plusieurs projets urbains, comme notamment le projet ANRU de la Croix Blanche à Vigneux/s. L’enjeu a été la démolition de six tours IGH sur sept, la dernière étant rénovée et restructurée. Ainsi, une architecture à échelle humaine avec des petits immeubles de 3 à 4 étages a pu être mise en place avec de nouveaux commerces et une mixité sociale sur l’habitat.

Enfin, l’agence a remporté le concours du projet urbain Gagarine-Truillot à Ivry/s. D’ailleurs, elle termine la rénovation de deux bâtiments emblématiques, la « Barre et Tour Truillot » de plus de 50 mètres de hauteur. Ce n’est pas seulement un projet de remise aux normes techniques et thermiques, mais aussi une modification de l’identité des édifices, en offrant une nouvelle image positive de ces bâtiments. Par exemple, l’une des idées fortes était de construire des halls d’entrée avec une adresse postale sur la voie et l’allée Gagarine.

Que pensez-vous des nouvelles normes concernant les constructions écologiques ?

Mon engagement sur l’écologie urbaine et architecturale est une histoire ancienne. Dès mon engagement dans l’architecture, l’écologie urbaine faisait partie de ma réflexion et de ma démarche du projet. L’idée d’intégrer un projet architectural dans un site, dans un quartier, tenir compte des existants, du paysage, des façons de vivre, ce sont déjà des éléments forts de l’écologie.

Bien évidemment, avec le temps des notions sur les économies d’énergie, l’énergie propre, l’idée d’une construction à zéro énergie, la végétation, le solaire, la climatisation naturelle, des matériaux propres, l’utilisation du bois, la gestion de l’eau, le partage des espaces avec le tout voiture… ce sont petit à petit ajoutés dans le cadre de ma démarche sur l’architecture et la ville.

Quels sont  les types de bâtiments sur lesquels vous intervenez principalement ?

Les projets en cours de l’Agence VEA sont divers. Tout d’abord, on a livré, il y a quelques mois déjà, la crèche sur le canal de l’Oise pour la Ville de Paris : projet à « énergie zéro ».

Actuellement, nous réalisons plusieurs programmes de logements sociaux comme le projet de 77 logements pour la RATP à Ivry/s le long de la nationale 305, mais aussi trois autres projets pour la Foncière Logement à Vigneux/s, à Bobigny et à Villepinte. Mais aussi un projet de 170 logements à Meaux pour la société ADOMA (filiale de la Caisse des dépôts et consignations). L’agence réalise également un projet immobilier de 40 logements haut de gamme à Cannes, face à la Méditerranée, pour Babylone Aménagement un promoteur franco-suisse. Enfin, nous construisons le Lycée G. Péri à Champigny/marne pour le compte de la Région Île-de-France.

Concernant les projets d’avenir ou de prospective, l’agence VEA s’investit actuellement sur deux concepts forts ; « Aquapolis » et la « Tour IG » à énergie zéro. Aquapolis, est d’abord un projet d’un nouveau type de paquebot de croisière, mais pas seulement. Grâce à son port autonome intégré, cette île flottante peut être totalement autonome d’un accostage dans un port. Enfin, son programme à la base hôtelier reste interchangeable pour d’autres types d’usage, comme un hôpital flottant, une université, des logements haut de gamme, voire d’autres types de programmes, mais avec l’idée d’un déplacement possible. Aquapolis est une île flottante qui se déplace.

Le deuxième projet, concerne la conception d’une tour mixte et écologique à échelle humaine, sans climatisation, mais intégrant une ventilation naturelle. Le socle intègre des commerces et des bureaux, aux étages, le projet intègre aussi un hôtel, des ateliers d’artistes et des logements, mais aussi un jardin belvédère, un restaurant panoramique et l’ensemble à échelle humaine à savoir autour de 120 à 130 mètres maximum. Le concept du socle reste primordial pour une intégration et une adaptation au site et au lieu.

 

Résumé des questions :

Qui est Ignace Grifo ?

Ignace Grifo est un architecte libéral et auteur de plusieurs ouvrages sur la thématique de l’architecture urbaine.

Quels sont les projets sur lesquels à travaillé Ignace Grifo ?

Ignace Grifo est spécialisé dans l’architecture urbaine. Il a notamment participé à la création de : groupe scolaire, centre de loisirs, équipements sportifs, bassin-école, gymnase et des terrains de sports, logements sociaux…

Quels sont les ouvrages écrits par Ignace Grifo ?

M. Grifo est l’auteur de Urban et Archi, ouvrage sur l’architecture urbaine