INTERVIEW DE JEAN-JACQUES PERRUT

Biologiste, scientifique et écrivain.

Pour MediaGong.tv Jean Jacques Perrut biologiste depuis plus de trente ans nous parle des évolutions qu’il a constatées dans son métier et de son investissement au sein de l’UNA.

jean-jacques perrut

1. Monsieur Perrut, quelle est votre formation ? Votre cursus ?

Jean-Jacques Perrut : Ma formation de base est celle de pharmacien. Jeune, avant l’obtention de mon diplôme, je me suis retrouvé interne en pharmacie des hôpitaux, et peu après chercheur dans la chimie du cerveau – ce qui m’a passionné – et orienté dans mes études : biochimie théorique, biochimie pratique, neurophysiologie, licence ès-sciences, maîtrise de biologie humaine, diplôme de toxicologie, tout cela en 2 ou 3 ans. J’ai bien sûr suivi dans la foulée, après l’obtention du diplôme de pharmacien, les diplômes nécessaires pour l’exercice de la biologie avec trois diplômes nationaux d’obtention assez difficiles : hématologie, immunologie générale, bactériologie et virologie…

Puis je n’ai pas cessé de suivre, à temps perdu, des formations et d’acquérir des diplômes (je crois en avoir 25). J’ai pu suivre des formations en lisant des livres, en suivant des stages, mais l’acquisition d’un diplôme universitaire assure une confirmation officielle des connaissances. J’estime qu’il existe une différence entre lire un ou deux livres sur l’Egypte et obtenir un diplôme d’égyptologie…

Dans des domaines très variés, les diplômes obtenus peuvent être classés en trois groupes. Ceux supposés utiles dans mon exercice professionnel de biologiste : diplômes de biochimie, toxicologie, hématologie, parasitologie, bactériologie, infectiologie, allergologie, chronobiologie, pathologie médicale, etc… Ceux que j’ai suivi par pur plaisir : neurophysiologie, physiologie et pathologie du sommeil, histoire de la médecine, ou encore œnologie… Et enfin les diplômes que j’ai suivi avec une motivation particulière : un DU de droit du travail parce que j’étais élu conseiller prud’homal – je le fus une dizaine d’années – ; un DU de gérontologie car j’étais élu président d’une importante association qui se consacrait au maintien à domicile des personnes âgées, ou encore des DU de médecine de catastrophe, de médecine tropicale, de santé humanitaire , ou de logistique sanitaire en perspective d’avoir à participer à la gestion de crises sanitaires (ce que je n’ai jamais eu à faire , et c’est mieux ainsi).

2. Parlez nous de votre parcours :

Jean-Jacques Perrut : Interne des hôpitaux, j’obtins un poste de chercheur hospitalier, travail passionnant qui me permettait de cumuler salaire d’interne et petite bourse de recherche : travaux de recherche en neurochimie. À l’époque où il n’existait ni scanner, ni IRM, le cerveau m’intéressait. Je fis de la psychopharmacologie. Je fis de la neurophysiologie dans le service du professeur Michel Jouvet, le Grand spécialiste du sommeil et je me passionnais en regardant rêver des animaux auxquels j’avais implanté des électrodes dans diverses zones cérébrales. Je fis de la neurologie dans le cadre de mes études de pathologie médicale ; et encore de la psychopharmacologie, chercheur au centre de recherches du service de santé des armées, mes travaux consistant à valider des études sur les psychostimulants qui seront utilisés quelques années plus tard comme stimulants de la vigilance.

Ma carrière professionnelle de chercheur s’arrêta là, mais être chercheur c’est un état d’esprit et on le garde, et je suis resté chercheur tout en exerçant comme biologiste libéral. Je fis des recherches bénévoles sur deux thématiques à l’institut Pasteur de Lyon dans le cadre de mon diplôme d’études approfondies d’immunopharmacologie que dirigeait le professeur Carraz; puis pour ma propre thèse de Doctorat d’Etat sur un sujet mêlant cardiologie, toxicologie et psychopharmacologie . Des recherches bibliographiques me permirent quant à elles d’écrire deux ouvrages reconnus, l’un sur les risques biologiques, l’autre sur les chercheurs et travaux pasteuriens. Et pendant toute ma vie, j’utilisais la même méthode : l’observation et l’établissement des faits permettent de dégager des idées à partir d’hypothèses, l’analyse permettant de confirmer ou non les hypothèses et ainsi de valider ou non l’idée sous-jacente. Membre de nombreuses sociétés savantes (biologie clinique, chronobiologie, hygiène hospitalière, microbiologie), je me suis toujours intéressé aux avancées scientifiques et j’ai toujours eu cette démarche scientifique, même si l’activité de biologie médicale libérale est essentiellement routinière.

3. Jean Jacques Perrut, vous avez écrit de nombreux ouvrages durant votre carrière, pouvez-vous nous en dire plus ?

JJ Perrut : Bien sûr ! J’ai commencé par écrire un livre nommé « Risques et Menaces biologiques », où je garde mon nom d’auteur Jean-Jacques Perrut, et qui revient sur l’un de mes domaines de prédilection et dans lequel je reviens sur l’histoire des armes bactériologiques et des dangers qui pèsent sur l’homme moderne. Par la suite, j’ai également écrit un essai « Faut-il déboulonner Pasteur? », où je reviens sur les contemporains du chercheur. C’est pour moi un moyen de remettre en lumières des scientifiques qui ont été injustement oubliés. Mes autres livres sortent du domaine scientifique. J’aborde l’œnologie dans « le vin dans la bible » et en particulier de la vision de ce breuvage dans le livre saint. Enfin, dans « À l’ombre de l’auréole », je reviens sur l’histoire de ma région natale, le Beaujolais, et de ses habitants illustres et anonymes, avec qui je partage des liens de parenté. Je pense que finalement, ma bibliographie représente bien l’ensemble de mes passions et de mon identité !

4. Quelle est votre première expérience professionnelle marquante ?

Jean-Jacques Perrut : Dans mon cœur de métier, ce sont mes premiers remplacements, seul, alors que je n’étais qu’étudiant, dans de petits laboratoires, mais en fait tout s’y passa sans problèmes.

Je retiendrai une expérience plus ancienne encore. Jeune interne, on me proposa de rédiger pour une revue scientifique locale des articles sur les psychotropes. Le travail fut partagé avec un collègue et ami et ce furent mes premières publications d’une cinquantaine de pages qui m’ont entrainé vers l’étude des antidépresseurs et surtout de la dépression, sujet qui m’a toujours passionné.

5. Depuis combien d’années pratiquez-vous ?

Jean-Jacques Perrut : De 1971 à 2011, cela fait 40 ans tout confondu, dont 35 ans comme biologiste médical libéral et environ 25 ans étudiant, 15 ans chercheur …

6. La biologie a énormément évolué, mais les relations humaines avec la patientèle « très peu », pouvez-vous nous en dire plus ?

Jean-Jacques Perrut : Dans les années 1970, la biologie médicale de ville qui se compose essentiellement de biochimie, et en moindre proportion d’hématologie et de bactériologie avait assez peu évolué depuis les années 1950, mis à part l’apparition des premiers auto-analyseurs Technikon et des premiers compteurs de globules qui nécessitaient beaucoup de bricolage. Ensuite , entre 1980 et 2010, la période centrale de mon activité , l’évolution technologique de la biologie a été considérable; on a pu faire en cinq minutes ce qui était fait en une journée, et avec une qualité et précision bien supérieure. Sans être prophète, on peut facilement prédire, au vu des progrès fantastiques tant en biologie moléculaire qu’en génomique, qu’une nouvelle révolution s’engage et que la pratique va considérablement évoluer, notamment dans le domaine de l’infectiologie.

En revanche quelles que soient les méthodologies et les évolutions technologiques, il s’agit d’une profession médicale et de la santé d’un patient à qui il faudra toujours annoncer la mort d’un fœtus, la reprise d’un cancer, une infection maligne, le développement de métastases, la leucémie de l’enfant , etc… La relation humaine n’a pas changé.

7. Monsieur Jean Jacques Perrut, vous vous êtes investi durant des années à l’UNA, parlez-nous de cette expérience qui fut la vôtre…

Jean-Jacques Perrut : À force d’insistance, le président fondateur de ces organismes médico-sociaux associatifs dont j’étais simple administrateur m’orienta dans les années 1990 à accepter un poste d’administrateur national, puis à lui succéder comme président local puis départemental. Quelques années plus tard, je fus aussi élu président régional dans le même réseau. Je n’avais, à priori, aucune compétence particulière pour de tels mandats. Le cumul des postes permet certes de maitriser les données et les informations nationales, régionales et celles davantage locales. Ce sont des mandats lourds pour une personne en activité professionnelle et j’y ai consacré beaucoup de loisirs, bénévolement bien sûr. Lorsque je trouvai un successeur, j’abandonnai le poste départemental – qui ne survécut pas très longtemps -, puis le poste de président local. C’est plus récemment que je laissai le poste de président régional – en vue de faciliter avec un regard neuf la restructuration de cette entité dans le cadre des nouvelles collectivités régionales ainsi que le poste d’administrateur régional lié au précédent. Sur une quinzaine d’années, cela reste une riche expérience.

8. Avez-vous constaté une évolution de la prise en charge des personnes âgées ?

Jean-Jacques Perrut : L’évolution a été considérable. La population vieillit, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. Majoritairement elles choisissent le maintien à domicile, tant qu’il est possible, plutôt que l’établissement(EHPAD), et si certains choisissent l’établissement, d’aucuns restent à domicile pour des motifs économiques.

Concernant l’évolution des prises en charge, des organismes caritatifs assuraient naguère l’accompagnement de ces personnes à force de bonnes volontés et « petits Boulots ». Aujourd’hui, on a voulu professionnaliser et supprimer cette notion de petit boulot.

Pour ce qui est de l’évolution législative : l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) a remplacé la PSD (prestation spécifique dépendance), appropriée par les conseils généraux qui l’ont dispensé généreusement tant que l’Etat payait et qu’ils ont dû réduire drastiquement quand le coût leur a incombé pour la plus grande part. L’accord de branche de mars 2002 a encouragé la professionnalisation certes, mais a engendré une augmentation importante des coûts salariaux et des interrogations (de type : est-il nécessaire d’avoir un diplôme pour entretenir la maison d’une femme âgée, ce qu’elle fit elle-même toute sa vie ?)

Trop d’aide à domicile a tué l’aide à domicile. Pour les conseils généraux, les dépenses ont été supérieures aux recettes, de même pour les services d’aide à domicile où l’heure de travail payée par les tutelles l’était à un prix inférieur au coût de revient…

La loi Borloo de 2005 a aggravé les choses, mettent sur le marché des aides à domicile à bas coût, sans formation, sans charges de structure, sans ancienneté, alors que les associations continuent à développer formations diplomates, encadrement, démarche qualité, normes Afnor, et j’en passe… C’est une confusion des genres entre les services traditionnels ancrés dans la logique médico-sociale dont le cœur de métier est l’aide à la personne fragilisée que ce soit par l’âge, la maladie ou le handicap , et d’un autre côté les services « low-cost », de confort dont la logique est purement lucrative, … et la différenciation n’est pas forcément perçue de l’extérieur si ce n’est par le coût….

9. Quelles sont vos préconisations ?

Jean-Jacques Perrut : Il est nécessaire d’avoir une régulation. S’agissant de financements -en partie- publics, tout n’est pas possible. Il s’agit de ne pas gaspiller, et d’assurer un financement juste et cohérent selon les besoins. Un seul exemple, si on laisse évoluer les choses librement. Nombreux prestataires lucratifs s’installeront dans le centre des villes et ne réaliseront que des prestations basiques et faciles, et rentables… Qui ira, mis à part les traditionnelles associations non lucratives, effectuer des prestations lourdes mais brèves par tous les temps en pleine campagne, alors que le temps de déplacement (non payé par l’usager) peut être supérieur au temps de travail ? Il convient d’assurer la transversalité des besoins de la personne aidée entre sanitaire, médico-social, et social et d’assurer un financement global des besoins, notamment dans le cadre du « virage ambulatoire ».

10. Le ministère de la santé est-il vraiment investi dans cette mission ?

Jean-Jacques Perrut : Je ne suis plus du tout l’actualité du secteur depuis l’arrivée du nouveau gouvernement. Mais je suis dubitatif, il n’existe plus de secrétariat d’état dédié aux personnes âgées ou à la perte d’autonomie. Je pense que l’interlocuteur est la CNSA…

De même, je pense que Beaucoup d’ARS (agence régionale de santé), pour des raisons souvent historiques, sont très investies dans le secteur sanitaire hospitalier mais se désintéressent du secteur médico-social, et à fortiori quand il s’agit du domicile …

11. Internet a évolué, mais surtout la façon dont s’en servent les internautes. Comment gérez-vous votre image sur le web ? En bref comment gérez-vous votre E réputation ?

Jean-Jacques Perrut : Cette question m’amène surtout à pousser une réflexion personnelle. Il y a quelques décennies, avant l’arrivée du minitel, on avait aucune idée de ce que pourrait être internet. Les premiers ordinateurs que j’ai connus, dans les années 1980, nécessitaient une pièce entière, renforcée et climatisée, pour des résultats modestes. La loi de Moore, dont on peut penser qu’elle restera valide encore quelques années laisse prévoir une évolution gigantesque de la capacité des microprocesseurs comme une diminution de la taille des matériels… D’ici peu Google connaitra tout de chacun d’entre nous et sera même peut-être un jour notre médecin. L’intelligence artificielle (IA) va se développer exponentiellement. Les meilleurs joueurs d’échecs, les joueurs de go sont battus par des logiciels. L’intelligence artificielle « faible » est utile et bénéfique, mais il en sera autrement quand elle dépassera l’intelligence humaine, deviendra « forte » et nous sera alors hostile.

12. Comment Jean Jacques Perrut s’occupe-t-il à ses heures perdues ?

Jean-Jacques Perrut : Après avoir abandonné beaucoup de mandats, présidences, réunions, conseils, etc, je bénéficie de temps libre qui me permet de mettre en pratique des notions théoriques en allant rendre visite à mon père ainsi qu’à la mère de mon épouse qui, dans deux départements voisins, partagent le fait d’être passablement âgés. D’une manière générale, je reste relativement disponible pour aider autrui quand je peux le faire.

Chercheur j’étais, chercheur je reste, mais il s’agit de paisibles recherches en généalogie. En revanche, je ne suis plus étudiant ; je crains que ma mémoire me fasse défaut dans le cadre d’études universitaires.

Alors je cultive mon jardin, potager et floral et, en saison, je vais volontiers ramasser quelques champignons dans les près ou les forêts. Je vais visiter quelques lieux que je ne connais pas où revoir quelques endroits que j’apprécie.

Enfin, je passe davantage de temps à la lecture ; et lire me pousse à l’écriture ; j’ai toujours sous le coude quelques pages manuscrites en attente… Actuellement, j’envisage d’écrire sur le transhumanisme, non pas pour prêcher un pour ou contre, mais seulement pour dire, surtout si vous êtes jeune : « soyez concernés, ne vous désintéressez pas de ce sujet, c’est de votre avenir dont il est question ».

 

Pour en savoir plus sur le biologiste et écrivain Jean Jacques Perrut :