E-réputation : le juridique, un levier d’action puissant par Virginie Bensoussan Brulé et Stéphane Alaux

L’utilisation des voies juridiques connaît de grandes avancées dans le domaine

J’ai donc demandé à Virginie Bensoussan Brulé, avocate, directrice du pôle Contentieux numérique du cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats, de répondre à quelques une de mes questions.

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La réputation peut être définie comme la manière dont quelqu’un ou quelque chose est considéré de façon générale, alors que l’e-réputation est l’image que les internautes peuvent se faire d’une personne physique ou morale à partir des informations trouvées sur internet et sur les réseaux sociaux. Il s’agit, en d’autres termes, de l’image en ligne de chacun, comme l’a défini la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil ) qui ajoute que celle-ci est entretenue par tout ce qui concerne et qui est mis en ligne sur les réseaux sociaux, les blogs ou les plateformes de partage de vidéos, directement par les personnes concernées mais aussi par des tiers[1]. Une chose est certaine : l’e-réputation est devenue un véritable enjeu, chacun devant toujours avoir présent à l’esprit que tout ce qui est posté sur les réseaux sociaux et internet reste sur le Web, dans la mesure où sa mémoire et les capacités d’y poster des données accessibles à tous sont virtuellement infinies.
Au départ, internet étant appréhendé comme un nouveau média, ce sont essentiellement les principes de respect de la vie privée et de la liberté d’expression qui ont présidé à l’encadrement juridique du web. Mais avec l’apparition de l’internet 2.0, celui des réseaux sociaux et des atteintes à la réputation qui s’en sont suivis, plusieurs dispositions législatives sont venues permettre de répondre aux atteintes à l’e-réputation : en résumé, celles-ci relèvent principalement, d’une part, des dispositions applicables aux infractions de presse, d’autre part du droit du numérique. Quant aux principales avancées juridiques en la matière, elles concernent l’émergence et/ou la consécration de principes encadrant les règles de droit applicables au réseau Internet : pour l’essentiel le principe de neutralité face aux contenus des pages web ; le principe d’irresponsabilité des prestataires techniques du réseau Internet ; l’absence d’obligation générale de surveillance des contenus de tiers hébergés par les prestataires techniques. Autant de grands principes qui encadrent au plan juridique l’e réputation et les réseaux sociaux en général. J’ajouterai également le fait que les personnes visées par des commentaires négatifs, critiques ou inappropriés ont aujourd’hui le droit de demander la suppression du contenu « manifestement » illicite, de demander le déréférencement au titre du droit à l’oubli et s’opposer au traitement de leurs données personnelles.
Cela peut certes présenter un risque, un peu à la manière d’un droit de réponse en matière de presse qui serait utilisé à mauvais escient et aboutirait à amplifier des propos malveillants que l’on cherche à contester. La protection par la voie judiciaire de l’atteinte à la e-réputation doit par conséquent être exercée avec tact. C’est la raison pour laquelle, bien qu’il soit toujours possible de faire cesser ou de réprimer les atteintes à son e-réputation, la solution la plus efficace est encore de renforcer sa vigilance en amont notamment par les actions suivantes : faire un état des lieux des informations publiées sur les réseaux sociaux et sur Internet et déterminer si l’empreinte numérique laissée par un individu ou une entreprise et ses dirigeants reflète bien leur image de manière fidèle ; actualiser régulièrement les profils personnels et professionnels, et pour les entreprises, mettre en place un guide des bonnes pratiques au sein de l’entreprise. Pour autant, il est essentiel de savoir que les individus ou entités concernés disposent, en cas d’atteinte à leur e-réputation, d’un large arsenal juridique pour faire cesser ou réprimer l’atteinte. Ainsi, lorsque l’atteinte peut être qualifiée d’injure ou de diffamation, un individu ou une entreprise peuvent agir sur le fondement des articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. D’autres actions sont encore possibles au pénal, sur les fondements de l’atteinte à la vie privée ou de l’usurpation d’identité en ligne, et, au civil, sur le fondement de la violation du droit à l’image, ou encore, lorsque les propos ne peuvent être qualifiés de diffamation, sur le fondement du dénigrement.
Consacré par la Cour de justice de l’Union européenne dans une décision Google Spain du 13 mai 2014, et plus récemment par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016 en son article 17 (sous l’intitulé « droit à l’effacement »), transposé en droit français à l’article 51 de la loi du 20 juin 2018 sur la protection des données, le droit à l’oubli numérique tend à faire de chacun d’entre nous en quelque sorte l’archiviste de son propre passé. Il ne permet pas seulement d’oublier mais de « revivre », c’est-à-dire de vivre sans avoir son casier judiciaire privé face à lui dans Google. En pratique, chacun a le droit d’obtenir l’effacement, dans les meilleurs délais, de ses données à caractère personnel. En pratique, en cas de non-exécution de cet effacement ou en l’absence de réponse du responsable du traitement dans un délai d’un mois à compter de la demande, la personne concernée peut saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui se prononce sur cette demande dans un délai de trois semaines à compter de la date de réception de la réclamation.
La question est pertinente car le RGPD prévoit en effet en son article 17, alinéa 3, quel les dispositions relatives au droit à l’effacement ne « s’appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire a) à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ». Ce qui pose effectivement la question du juste équilibre à trouver entre la liberté d’expression, le droit à l’information et le respect de la vie privée sur internet. En la matière, tant le législateur européen que la Cour de Luxembourg opèrent une distinction importante entre le droit à l’information et le droit au maintien de l’information, en d’autres termes le droit à l’histoire. L’intérêt général n’est-il pas l’arbitre de ce débat ? Toutes les informations ne sont pas en effet « dignes de l’histoire » lorsqu’elles concernent des personnes qui n’ont pas de vie publique. Encore une fois, une balance de proportionnalité est à trouver entre le droit des internautes à accéder à l’information et les droits fondamentaux de la personne concernée, en particulier le droit au respect de sa vie privée. Ces droits prévalent, en principe, non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt de ce public à trouver ladite information lors d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée. Tel ne serait pas le cas si l’on était, par exemple, en présence d’une personnalité publique, l’ingérence dans ses droits fondamentaux serait alors justifiée par l’intérêt prépondérant du public à avoir accès à l’information en question lors d’une recherche portant sur le nom de cette personne.
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