Commençons par un petit rappel : le droit à l’oubli, également appelé déréférencement, autorise quiconque à solliciter d’un moteur de recherche la suppression de certains résultats liés à son nom complet lors d’une recherche basée sur son identité. Seul bémol : cela ne conduit pas à la suppression de l’information directement à sa source sur le site web concerné. Et c’est précisément le problème, dans un contexte où les personnes concernées se trouvent privées de leur droit de bâtir une nouvelle vie. La bonne nouvelle est que le droit à l’oubli peut désormais s’appliquer aux archives en ligne des journaux…
Droit à l’oubli : le délicat équilibre entre rédemption et droit de l’information
Internet n’oublie pas, vous connaissez l’adage. Pourtant, un droit à l’oubli sur internet et les moteurs de recherche existe, pensé pour faciliter la réintégration des anciens condamnés dans la société, idée que nous défendons de manière logique face à la persistance d’une réputation négative en ligne.
Le principe est simple, en apparence du moins : toute personne, ayant purgé sa peine, peut demander le déréférencement d’articles liés à ses démêlés avec la justice, afin de se donner une chance de tourner la page. Cependant, il ne s’agit pas d’effacer l’information de son origine, mais plutôt d’empêcher que cette information ne surgisse directement lors d’une simple requête associée au nom de la personne concernée.
Mais là où le bât blesse, c’est dans la mise en application de ce droit. Comment concilier la nécessité d’informer le public et le droit individuel à l’oubli ? Il faut aussi distinguer ce déréférencement d’initiatives plus punitives, comme celles qui ont touché des entreprises comme Wish. Vous l’aurez compris, le sujet est particulièrement complexe… Enfin, à l’heure de la globalisation, la portée géographique de ces décisions est sujet à débat. Alors que le droit américain tend parfois à avoir une prétention universelle, l’Europe reste plus mesurée.
Ce sujet, au cœur des débats contemporains, interroge : jusqu’où doit-on protéger l’individu des conséquences persistantes de ses erreurs passées dans une ère où l’information ne disparaît jamais vraiment ?
Le CEDH s’empare du droit à l’oubli numérique
Au nom du « droit à l’oubli », la Cour de Strasbourg a condamné Le Soir à anonymiser l’identité d’un condamné, concluant à la non-violation du droit à la liberté d’expression du journal belge. Retour sur les dessous de cette affaire…
On est en 2008, année à laquelle Le Soir ouvre l’accès à ses archives digitales sur son site. Entre autres articles archives, un article datant de 1994 est mis en ligne, lié à un accident de route mortel. Or, l’auteur des faits, un médecin qu’on appellera G., avait été réhabilité après avoir purgé sa peine d’emprisonnement. Naturellement, il demande alors à ce que l’article soit anonymisé, ou déréférencé, de telle sorte à ce qu’il n’apparaisse plus dans les SERPs de recherches basées sur son nom. Le Soir refuse d’obtempérer, tout en demandant à Google Belgique de déréférencer l’article en question. Le moteur de recherche ne répondra jamais à la requête.
C’est alors que G. saisit la justice belge, et intente une action civile, obtenant gain de cause. Verdict : la Cour condamne le journal à remplacer l’identité de G. par la lettre X., se fondant sur le droit à l’oubli numérique confirmé par la Cour de justice. Pour sa part, l’éditeur du journal voit dans cette décision une entrave à la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, et saisit les juges européens pour faire valoir son « droit ».
Non-violation du droit à la liberté d’expression de l’éditeur du journal Le Soir
Face aux implications potentielles de cet article sur la vie privée du conducteur, des décennies après l’événement, la question se posait : le « droit à l’oubli » devait-il prévaloir sur la liberté d’expression ? Dans l’affaire qui nous intéresse, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu dans son arrêt du 4 Juillet 2023 que les juridictions nationales ont été cohérentes dans leur prise en compte des circonstances entourant la publication, notamment l’absence d’actualité ou de notoriété du conducteur, qui plaidaient en faveur de l’anonymisation de l’article. Elle a également noté qu’elles ont accordé l’importance qu’il fallait à la gravité du préjudice souffert par G., lié à l’article en libre accès, qui confinait à un « casier judiciaire virtuel », étant donné le temps écoulé depuis l’accident. Verdict de la CEDH ? L’anonymisation ne constituait pas une charge démesurée pour M. Hurbain, éditeur du journal Le Soir, en même temps qu’elle représentait la mesure la plus efficace pour protéger la vie privée du conducteur.
Retenez l’expression : casier judiciaire virtuel. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, dès lors que les archives de médias ou de Google portant atteinte à la vie privée sont libres d’accès, indéfiniment ! Dans les faits, il s’agit ni plus ni moins d’une négation du droit à la réhabilitation judiciaire de personnes ayant purgées leur peine. Ce jugement est là pour nous le rappeler…