La Ligue du LOL, quand des journalistes se rendent coupables de harcèlement

cyberharcèlement

En 2009, le journaliste Vincent Glad crée un groupe Facebook, « La Ligue du LOL »… pour s’amuser ! Or, il apparaît clairement que M. Glad « s’amuse » surtout en harcelant des dizaines de personnes en ligne. Dans les faits, le journaliste français a créé une véritable machine à humilier qui sévit sur les réseaux sociaux. Comment en est-on arrivé là ? Eclairage !

Des femmes et des hommes victimes de lynchage

Comment un groupe Facebook de près de 30 personnes qui, selon Vincent Glad, a été créé pour « s’amuser », s’est-il transformé en une machine à harceler et à humilier ? Premier élément de réponse : l’opacité qui règne dans le groupe. Selon un ancien membre de « La Ligue du LOL », les membres, y compris lui-même, ne savaient rien de l’envers du décor du groupe fondé par le journaliste français en 2009. Alors que, toujours selon lui, tout devait rester privé dans le groupe, il y a eu des dérapages et le privé est devenu… public. C’est sans doute ce qui explique le fait que l’ex-membre ait reçu plus d’une centaine de messages de menaces en moins d’une semaine.

Force est de constater qu’il y avait véritablement lynchage de la part de « La Ligue du LOL ». C’est en tout cas ce qu’ont rapporté des dizaines de femmes et d’hommes au tournant des années 2010. Depuis 2019, les témoignages fusent sur les réseaux sociaux, révélant la vraie nature de ce groupe.

Quand « cool » rime avec « bully »

En 2019, CheckNews publie un article à charge, dévoilant les exactions de « La Ligue du LOL ». S’étant retrouvé sous le feu des critiques, Vincent Glad s’étale en excuses et explications sur Twitter : « En 2009, j’ai créé un groupe Facebook nommé “La Ligue du LOL”, où j’ai ajouté des amis et quelques personnes qui me faisaient rire sur Twitter. Je vous dois des explications. Et surtout des excuses ».

A l’origine, « La Ligue du LOL » part de Twitter, réseau encore peu connu en France à l’époque. Le groupe regroupe donc les figures pionnières de Twitter : graphistes, professionnels de la communication, beaucoup de journalistes, influenceurs… Pionnières, et donc perçues comme étant « cool », comme en témoigne Aude Baron, rédactrice en chef à Eurosport : « Je connaissais les journalistes de cette liste. Ils faisaient partie des gens ‘cool’ de Twitter ». A coup de rencontres occasionnelles lors d’apéros et autres mini événements informels réunissant le gratin de la profession de l’époque, l’idée de « La Ligue du LOL » émerge.

Un club d’hommes « cool »… accessoirement sexistes et racistes

En 2010, Mélissa Bounoua est community manager à 20minutes.fr. La jeune femme est très active sur Twitter, elle entend donc parler d’un groupe Facebook, « La Ligue du LOL », dont un de ces collègues fait alors partie. Mélissa entend simplement qu’on y partage des blagues, des tweets, des plans de soirée… Sauf que parmi les liens partagés sur le groupe, Mélissa Bounoua voit des articles signés par Thomas Messias et Lucile Bellan. Leur particularité ? Contrairement aux autres posts, ils ne sont pas publiés pour demander des likes ou des partages. Ils sont clairement postés pour dénigrer leurs auteurs. Dans la même lignée, Mélissa voit des commentaires qu’elle décrit comme dégueulasse, des photos compromettantes et des blagues extrêmement douteuses.

Sur le groupe Facebook, les moqueries fusent, avant de se répandre sur Twitter. De l’aveu même du créateur de « La Ligue du LOL », Vincent Glad, il s’agit ni plus ni moins que d’un « jeu » tendance pour devenir une star de Twitter. En effet, dans un article qu’il écrit en juin 2009 pour Slate, très justement intitulé « Comment devenir une star de Twitter », Vincent Glad conseille de « s’embrouiller avec toute la communauté Twitter. En 140 signes, les insultes et les coups bas partent très vite devant les yeux incrédules de toute la communauté qui s’amuse à ‘retwitter’ » les meilleures saillies ».

Cibler des personnes en situation de vulnérabilité

Les victimes de « La Ligue du LOL » rapportent un véritable effet de meute qui opère à partir du moment où un membre du groupe décide de s’en prendre à une cible. Dès lors, son message est retweeté par de nombreux comptes. La cible privilégiée du groupe Facebook ? Des femmes, des homosexuels, des juifs… Les membres de « La Ligue du LOL » visent des cibles « faciles », et appuient là où ça fait mal. De facto, le groupe développe des techniques spécifiques pour insulter, se moquer et harceler.

Tout cela présuppose l’existence d’une organisation. Et il y en avait en effet une, comme le rapporte Nora Bouazzouni, qui explique que plusieurs personnes lui ont parlé à un moment d’un organigramme de « La Ligue du LOL ». Vraisemblablement, il y avait des membres passifs, alors que d’autres étaient chargés de suivre des cibles spécifiques. Il y a avait aussi certains membres comme Stephen des Aulnois (pseudo : @desgonzo) et Baptiste Fluzin (@soymalau) qui étaient chargés de réaliser des photomontages. Enfin, d’autres membres avaient pour mission d’archiver des tweets et captures d’écran sur Pearltree, un site de curation.

La machine était donc bien huilée. Une machine dont Florence Porcel, journaliste à l’époque, a fait les frais. Dans son témoignage, elle explique que le cyber harcèlement (qui est un délit puni par la loi) « a commencé par des tweets malveillants de plusieurs comptes, de manière répétée. Ensuite, j’ai eu droit à un photomontage à caractère pornographique ». Nora Bouazzouni rapporte des techniques similaires : « J’ai eu des insultes à caractère sexuel et misogyne, des photomontages pornographiques. Et il y avait toujours une connotation raciste ». Photographe et réalisatrice, Laurence Guenoun témoigne elle aussi sur Twitter, relatant qu’elle était visée par « des créations à caractère antisémite ».

Le droit d’exister… virtuellement

Au-delà du choc qu’elle suscite (parce que certaines personnes sont ou étaient des “journalistes” en activité), cette affaire doit donner lieu à une prise de conscience collective et individuelle sur la réalité et la laideur du cyberharcèlement. De la même manière qu’on a le droit d’exister dans la vraie vie, on a aussi le droit d’exister virtuellement, sans craindre pour sa personne ni subir des attaques dont le but est de dénigrer, d’humilier. A bon entendeur.

Laisser un commentaire